Rexhino « Gino » Abazaj : la cour d’appel de Paris refuse de remettre le militant antifasciste à la Hongrie de M. Orbán

Au nom des atteintes potentielles à ses droits fondamentaux en détention comme au tribunal, la Cour d’appel de Paris vient, ce mercredi 9 avril, au terme de cinq mois de procédure, de refuser de livrer Gino Abazaj au premier ministre hongrois Viktor Orbán. Une grande victoire pour son comité de soutien, et bien au-delà.


Tout d’un coup, grands sourires dans toute la salle. Le président vient à peine de commencer la lecture du délibéré. Soulagement général et joie encore feutrée. Quelques minutes plus tard, à l’extérieur, dans la salle des pas perdus, des applaudissements éclateront. Mais là, les gestes s’échangent comme en contrebande. Un clin d’œil, un pouce en l’air, et c’est bien ça. Car l’arrêt rendu par la justice française, ce mercredi 9 avril, face à la demande d’extradition en Hongrie de Rexhino « Gino » Abazaj, paraît encore inouï. Totalement inédit, en tout cas. Historique, peut-être.

Un constat cinglant dressé par la cour d’appel

Après plusieurs audiences depuis le mois de décembre 2024, la cour d’appel de Paris dresse sur douze pages un constat étayé et surtout cinglant : dans le cas de cet antifasciste albanais, arrêté en région parisienne en novembre dernier et détenu à Fresnes jusqu’à sa remise en liberté sous contrôle judiciaire fin mars, il convient de déroger à la quasi-automaticité du mandat d’arrêt européen qui repose sur la « confiance mutuelle » entre les États de l’Union européenne (UE).

Pas question pour les juges français de procéder à la remise de Gino aux autorités hongroises car, arguent-ils, il y aurait « un risque d’atteinte aux droits garantis » par la Convention européenne des droits de l’homme et des libertés fondamentales, mais aussi par la Charte des droits fondamentaux de l’UE.

Travail de sape de la présomption d’innocence, disproportion des moyens employés au regard de la légèreté des faits reprochés, risques sur l’intégrité physique en vertu d’opinions politiques, absences de garanties sur ses conditions de détention comme sur le droit à un procès équitable…

Refusant de suivre le parquet général qui, partisan – de plus en plus embarrassé, toutefois, au fil des audiences – d’une extradition pure et simple, a dix jours pour se pourvoir en Cassation, la cour d’appel de Paris va loin dans l’exposé des dérives à l’œuvre en Hongrie, en s’appuyant sur le sort réservé aux militants antifascistes pourchassés sur tout le continent pour les besoins de la vendetta de Viktor Orban.

À la fin de la lecture du délibéré, le président du tribunal rappelle toutefois à l’attention de Gino Abazaj qui ressortira libre, avec une mainlevée sur son contrôle judiciaire : « Le mandat d’arrêt européen est toujours diffusé. Si vous franchissez les frontières, un autre pays pourrait décider de l’exécuter… »

« Je pensais bien que la justice française ne se rallierait pas aux arguments d’un régime néofasciste »

« Cette décision est novatrice et courageuse, commente à la sortie de la salle Me Laurent Pasquet-Marinacce, avocat, avec Me Youri Krassoulia, de Gino Abazaj. En plus des craintes sur les conditions de détention, la cour met en cause le défaut d’impartialité des juges à Budapest. Elle parle d’une défaillance systémique sur place. Selon eux, alors que les représentants du gouvernement ont multiplié depuis des mois les déclarations tonitruantes contre les personnes poursuivies pour ces affaires, la Hongrie, aujourd’hui, a des comportements qui font craindre un procès joué d’avance. Cela vaut pour Gino, mais aussi pour tous les militants poursuivis par Orban dans toute l’Europe pour les mêmes faits. Tous ceux-là pourront se prévaloir de la décision rendue aujourd’hui à Paris. C’est très important. »

Venu en costume cravate pour l’occasion, Gino savoure l’instant. Derrière lui, se tiennent sa mère et sa sœur – venues spécialement de Milan, comme à chaque audience –, sa compagne et ses camarades du comité de soutien. « On va se réjouir ce soir, c’est sûr, confie-t-il en italien. J’y croyais, je pensais bien que la justice française ne pouvait pas se rallier aux arguments d’un régime néofasciste comme celui d’Orban. En Europe, il y a encore des endroits où on sait qu’on n’a rien à offrir à ceux qui démantèlent les droits sociaux et politiques. » Ajoutant, avant d’être emporté dans une accolade : « Il y a de quoi faire la fête aujourd’hui, mais on ne va pas trop se détendre, car c’est loin d’être fini… »

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