Après 17 ans de clandestinité et malgré son rôle dans les négociations de paix, la justice demande des comptes à Josu Urrutikoetxea, alias Jose Ternera.
"Il portera une casquette verte", nous avait dit son fils Egoitz. Le voilà, petit homme sec en costume noir, qui s'avance sur un trottoir parisien. L'entretien est minuté. Sous contrôle judiciaire strict, ses heures de sorties sont limitées. Un bracelet électronique veille. Josu Urrutikoetxea aura 70 ans à Noël. Les fêtera-t-il en famille, derrière les barreaux d'une prison française ou encore dans une geôle espagnole? Deux procès l'attendent cette semaine à Paris et l'Espagne multiplie les demandes d'extradition.
50 ans d'engagement
On ne tourne pas facilement la page de plus de 50 ans d'engagement au sein, voire au sommet, d'ETA. Quand bien même on est celui qui a annoncé, le 3 mai 2018 depuis Genève, l'autodissolution de l'organisation séparatiste basque. Comment résumer la vie de Josu Urrutikoetxea, alias Jose Ternera, en quelques chiffres? Il avait 17 ans et Franco régnait d'une main de fer sur l'Espagne en 1968 quand il a rejoint les rangs d'Euskadi ta Askatasuna (Pays-Basque et Liberté) . Il a passé près de 10 ans en détention entre 1990 et 2000, entre la France et l'Espagne, avant d'être élu au parlement du Pays-Basque espagnol devenu autonome.
Ses 17 années de clandestinité se sont achevées le 16 mai 2019 sur le parking d'un hôpital de Sallanches (Haute-Savoie) . Plus de 800 personnes sont tombées sous les balles ou les bombes du terrorisme basque depuis 1959 et, dans l'autre camp, les années de prison des etarras condamnés des deux côtés des Pyrénées se comptent par centaines…
Aux quatre coins du pays et sous un nombre incalculable d'identités fictives, Josu Urrutikoetxea a passé suffisamment de temps en France pour en maîtriser parfaitement la langue. Son message peut se résumer ainsi : "La lutte armée a causé des dégâts irréparables. Mon but depuis 20 ans a été de sortir de ce conflit par la négociation pour ne pas laisser cet héritage aux générations futures". Dans les faits, ETA a concrètement rendu les armes le 8 avril 2017 avant de prononcer, un an plus tard, sa fin pure et simple.
"Protéger les négociateurs de paix"
"Même si sa trajectoire n'a pas été linéaire, il est celui qui a mené à la fin de la lutte armée", résume un bon connaisseur du dossier basque. Chef de guerre avant de devenir un artisan des négociations de paix? La bascule opère au moment du changement de siècle. Et l'on arrive au coeur des dossiers qui seront jugés cette semaine.
Josu Urrutikoetxea doit comparaître lundi et mardi pour association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste pour la période 2002 – 2005. Jugé en son absence en 2010, il avait été condamné à 7 ans de prison. Puis rebelote mercredi et jeudi pour la période 2010 – 2013. Jugé, alors qu'il se trouvait en clandestinité, en 2017, il avait écopé de 8 ans. Son avocat, Laurent Pasquet-Marinacce, évoque une "tartufferie" : "Est-ce commettre une infraction que de prendre part à des négociations de paix validé par l'état espagnol?" "On veut me juger pour quelque chose dans laquelle le gouvernement français était impliqué", renchérit l'intéressé.
Les deux périodes recouvrent effectivement des épisodes de négociations, la première à Genève en Suisse, la seconde à Oslo en Norvège, dans lesquels Josu Urrutikoetxea en tant que responsable d'ETA étaient impliquées, et que Paris ne pouvait ignorer. La preuve? Comme garantie de ne pas être arrêtés lors de leurs déplacement en France, les négociateurs basques disposaient de deux numéros de téléphone d'urgence : la ligne directe du directeur général de la police espagnol et le numéro de portable d'un des hommes de confiance du président Sarkozy, le préfet Christian Lambert.
A l'entendre, engager des pourparlers de paix demande des années de préparation : d'abord pour "convaincre son propre camp" ; trouver des facilitateurs, en l'occurrence le centre Henri Dunant en Suisse ; profiter des opportunités politiques lors des alternances en Espagne ; convaincre des Etats (la Suisse, puis la Norvège) de jouer les pays hôtes qui vous assurent une protection diplomatique…
Dans un appel public, 259 personnalités internationales (parmi lesquelles le leader du Sinn Fein Gerry Adams, l'universitaire Noam Chomsky, l'ex-magistrate Eva Joly ou encore l'ancienne garde des Sceaux Christiane Taubira) demandent à la France de "protéger les négociateurs de paix". Cet appel concerne les deux procès parisiens à venir mais aussi les demandes d'extradition et mandats d'arrêt européens formulés par l'Espagne. Ils ramènent Josu Urrutikoetxea à la période noire d'ETA comme l'attentat de Saragosse, 11 morts dont 4 enfants, en 1987, ou l'assassinat d'un cadre de Michelin en 1980 à Vittoria.
Dans les deux cas, Urrutikoetxea nie toute implication. Pour le premier, la France a donné son accord pour une extradition ; ses avocats se sont pourvus en Cassation. Pour le second, elle se prononcera le 18 novembre. On ne tourne décidément pas facilement la page de plus de 50 ans d'engagement au sein d'ETA…